Phil monta les escaliers en courant et en riant aux éclats : il devait absolument trouver la meilleure cachette qui soit pour que tout le monde le cherche pendant des heures. Ainsi, il prolongerait son repas d’anniversaire tard dans la soirée… Grimpant les marches quatre à quatre, de toute la vitesse de ses petites jambes de dix ans, le garçonnet arriva au premier palier.
Il ne connaissait pas bien la maison, léguée à ses parents par une vieille tante qu’il n’avait jamais connue, et ils y passaient leurs premières vacances d’été.
Le parquet qui, visiblement, n’avait pas eu de visites depuis longtemps, se mit à grincer sous le poids du garçon. Mais celui-ci, autant apeuré qu’excité, n’en avait cure ; au contraire, il ressentait avec joie les papillons de plaisir et de peur s’agiter au creux de son estomac.
Il poussa la première porte qu’il y avait sur sa droite, pour découvrir une pièce vide de tout meuble, à part une paire de vieux voilages, encore accrochés à la tringle d’une fenêtre entrouverte, noircis par le temps et la poussière et qui se balançaient sous la douce brise de l’après-midi.
Il referma derrière lui et s’avança vers la porte suivante.
Il entendait sa cousine compter… 15… 16… Vite, il fallait qu’il se dépêche.
Il ouvrit la seconde porte pour y trouver une sorte de bric-à-brac touffu et encombré, tellement poussiéreux que les grains lui chatouillèrent la gorge et qu’il ne put s’empêcher de tousser.
« Pouah ! » fit-il en refermant doucement, pour ne pas attirer l’attention.
Puis il tendit l’oreille… 19… 20… Vite ! Vite !
Il poussa la troisième porte qui était au fond du couloir. Là, une grande chambre. Un bureau sur la droite et une carcasse de lit en fer forgé sur la gauche, plus une armoire dans le fond.
« Voilà la cachette parfaite ! » se dit-il en se dirigeant vers le meuble. Il eut un peu de mal à faire basculer le loquet, qui était manifestement aussi vieux que sa tante… et fit grincer la porte sur ses gonds, qui protestèrent vigoureusement d’être tirés de leur léthargie.
L’odeur qui se dégagea n’avait rien de bien engageant : un subtil mélange de poussière, de tissus anciens, de naphtaline et de parfum musqué attaquèrent les sens de Phil.
Le nez froncé, il se demanda pendant une seconde si c’était bien là qu’il voulait se cacher puis, se disant que ses amis refermeraient la porte aussitôt après l’avoir ouverte à cause de l’odeur, il en conclut que ça ne pouvait pas être mieux, au contraire.
Poussant un soupir pour se donner du courage, il entreprit de franchir le bas de l’armoire et s’engouffra dans les robes et les manteaux d’une autre époque…
La porte claqua derrière lui et il s’en inquiéta, craignant qu’il ne soit débusqué le premier.
Puis il entendit vaguement sa cousine dire « J’espère que vous êtes bien cachés… J’arrive ! »
Sûr de lui, il sourit et attendit, en étant à l’écoute de tous les bruits environnants. Loin, au dehors, sous la fenêtre, quelque part, il entendait les échos des conversations des parents ainsi que, de temps en temps, le tintement d’un glaçon du pichet de thé glacé que l’on versait dans les verres.
Tous ces bruits, mêlés à la chaleur ambiante et à l’obscurité de l’armoire, étaient près de faire sombrer notre jeune Phil dans un sommeil profond, quand soudain…
Un bruit sec, un claquement. La porte de la chambre venait d’être ouverte. En sursautant, Phil commença à pester que sa cachette, qu’il croyait si parfaite, venait d’être découverte aussi rapidement. Mais bientôt, il sentit, ou il entendit que quelque chose clochait… Ce n’était pas l’un de ses camarades qui approchait.
Non.
C’était… autre chose… Les pas étaient plus lourds, plus pesants, et il entendait une respiration haletante, comme quelqu’un qui a couru.
Pris de panique, il mit ses mains sur sa bouche pour s’empêcher de crier et essaya de se dissimuler encore mieux au milieu des vêtements.
La chose avait approché, elle était tout près, derrière la porte…
Puis elle toqua du bout de ses doigts sur le battant.
Et, lentement, le loquet tourna.
Ouvrant grand les yeux de terreur, retenant sa respiration, il aperçut, grâce au rai de lumière que laissait passer la porte à peine ouverte, un long doigt osseux, crochu, qui essayait de se faufiler pour ouvrir la porte.
Sa respiration était vraiment effrayante, et Phil n’osait plus bouger, tétanisé par la peur.
Puis la créature inséra deux autres doigts, tout aussi crochus, et son souffle parvint jusqu’à Phil, un souffle chaud, fétide, avec des relents de pourriture et de moisi, accompagné d’un grognement sourd à chaque expiration…
« Il faut que je fasse quelque chose… »
Ne supportant plus cet état d’attente et ne voulant pas mourir, il s’extirpa doucement des vêtements et, prenant son courage à deux mains, surgit des manteaux comme un diable hors de sa boîte et poussa la porte de l’armoire de toutes ses forces, pour déséquilibrer la chose et gagner assez de temps pour s’enfuir à toutes jambes.
Son élan l’avait fait bondir jusque dans le milieu de la pièce.
Mais quelle ne fut pas sa stupeur, une fois dehors, de constater que la chambre était vide !
Personne.
Il fit un tour sur lui-même en regardant partout.
Personne.
Nulle part.
Il allait sortir quand il entendit un bruit sec : la porte de l’armoire venait de se refermer brutalement.
Sursautant et faisant volte-face, Phil posa sa main sur sa poitrine en étouffant un hoquet de surprise, puis, après quelques instants, s’avança tout doucement vers l’armoire.
Est-ce que la chose s’était enfermée toute seule ou la poussée de Phil sur la porte l’avait-elle fait entrer dans l’armoire ?
Plus terrifié qu’il ne voulait l’admettre, en tremblant et en haletant, il osa s’avancer jusque devant la porte et colla précautionneusement son oreille contre le battant.
Il lui sembla que la chose faisait pareil de l’autre côté. Leurs deux cœurs semblaient battre à l’unisson. Ainsi que leur respiration d’ailleurs.
Phil était perplexe. Doucement, il recula d’un pas et lança son pied, frappant du bout de sa chaussure dans le bas de la porte de l’armoire.
Une fois.
Deux fois.
Trois fois…
Avait-ce été un signal pour la créature ?
Phil vit le loquet bouger : la chose voulait-elle sortir ?
Reculant précipitamment en faisant un bond en arrière, il sentit le sang refluer de son visage en même temps que la porte semblait vouloir s’ouvrir.
Enfin, au moment où le battant se mit en mouvement, Phil n’y tint plus : il se mit à hurler de toutes ses forces, ouvrit la porte de la chambre et parcourut le couloir avant de dévaler les escaliers.