Le bleu des yeux du petit garçon de Tatooïne lui rappela instantanément la couleur des eaux douces de Naboo, et de Naboo aux Nubiens, il n’y avait pas un parsec de distance à parcourir dans son esprit. À la pensée des habitants de sa planète, toujours retenus en otage par les armées droïdes de la Fédération du Commerce, les lèvres fines de la reine Amidala se mirent à trembloter nerveusement. Sa gorge se noua aussi, refusant d’avaler sa salive, et ce n’est qu’avec grand-peine qu’elle parvint à empêcher ses yeux bruns, qui scintillaient comme deux étoiles dans le ciel, de laisser échapper ses larmes. Mais celles-ci continuèrent à s’accumuler dans le regard de l’adolescente et, afin de ne pas craquer devant Anakin, elle baissa les yeux pour s’attarder un moment sur le porte-bonheur que le jeune garçon venait de lui offrir à l’instant. Miraculeusement, la vue de la beauté de ce pendentif en bois sculpté sembla apaiser sa tristesse.
« Toi aussi tu es une esclave, pas vrai ? » Demanda soudainement le garçon des sables avec une voix chevrotante d’émotion.
Padmé redressa alors son visage pour fixer à nouveau l’enfant de neuf ans. Le blondinet portait sur lui des vêtements souillés par le sable et la sueur, et le dessous de ses ongles étaient noirs de saleté. Padmé qui, elle, sentait bon le parfum, réalisa qu’elle ne pourrait jamais pleinement comprendre tout ce que Skywalker avait dû endurer pendant sa jeunesse. Certes, Padmé avait très tôt été soumise aux droits et aux devoirs qu’exigeaient un parcours politique, mais tout ceci n’était rien en comparaison de la liberté restreinte à laquelle Anakin avait été condamné, ni des joies absentes de son enfance, à cause de sa condition d’esclave, ni même de sa servitude, mille fois plus contraignante que celle d’une personnalité publique.
« Quoi ? Demanda-t-elle en n’ayant pas compris la dernière parole du garçon.
– Tu sers la reine Amidala ? Tu es esclave, comme moi ?
– Je suis une suivante Ani, pas une esclave.
– Ça reste un peu la même chose, tu crois pas ?
– C’est plus compliqué que ça. Il y a une différence entre une suivante et un esclave. Une suivante propose ses services à un maître, tandis qu’un esclave… eh bien lui… il…
– Il ne choisit pas son maître…
– C’est ça. Mais tu n’as plus à te sentir esclave Ani. Tu es libre désormais.
– Mon maître, c’est Qui-Gon maintenant, et ma mère est toujours prisonnière de Watto. Tant qu’elle sera son esclave, je ne serai jamais libre.
– Je comprends… Je ressens la même chose pour le peuple de ma planète… » Soupira-t-elle de découragement avant de se taire un long moment.
Face à la réponse aussi sincère d’Anakin, Padmé s’était tue et s’était retranchée derrière un mur de silence afin de protéger sa couverture. En effet, la reine était à deux doigts de craquer et de révéler toute la vérité sur elle au jeune garçon. À cet instant, Padmé n’avait jamais été aussi près de divulguer sa réelle identité à Anakin. Elle voulait tout lui dire. Lui dire qu’elle était en réalité la véritable reine Amidala en personne, et qu’elle allait faire tout ce qui était en son pouvoir pour arranger leur situation actuelle. Néanmoins, avec son éducation politicienne, Padmé savait pertinemment que le mensonge était primordial pour assurer son avenir. Bien qu’elle n’ait en cet instant aucunement envie de continuer à mentir, et surtout pas à Ani, qui était véritablement le garçon le plus gentil qu’elle ait jamais rencontré, elle parvint à retenir ses paroles pour protéger ce garçon de la planète des sables, pour qui elle commençait à éprouver de plus en plus d’affection. Certes, il y avait une bien trop grande différence entre cet esclave et elle, qui avait vécu toute sa vie sous les dorures des palais royaux. Cependant, malgré cela, Padmé se sentit tout de même assez proche d’Anakin pour lui éviter la souffrance. Elle pensait qu’il méritait de connaître la vérité. Le temps venu, elle lui expliquerait tout, et elle était sûre et certaine qu’il comprendrait parfaitement pourquoi elle avait été obligée de lui mentir aujourd’hui. Mais pour le moment, l’heure n’était pas aux révélations, elle ne devait pas encore lever le voile sur la vérité.
« Je veux juste rentrer chez-moi… Lâcha brusquement Anakin avec une petite voix, teintée d’une tristesse non dissimulée.
– Moi aussi…
Padmé approcha sa main du visage d’Anakin et de son pouce, elle effaça doucement la traînée d’une larme qui s’était mise à couler le long de sa joue ronde.
– Quand vais-je revoir ma mère d’après toi ?
Padmé savait bien que les Jedi ne venaient de l’arracher à l’esclavage de Tatooïne que pour le cantonner et le garder à portée de main, aux ordres et à la volonté des chevaliers de la Force, et que l’attachement ne faisait absolument pas partie de leurs préceptes religieux. Il ne pourrait sans doute jamais revoir sa mère et pourtant, une fois encore, elle préféra lui mentir pour son propre bien.
– J’ignore tout de la voie des Jedi, et je ne sais pas ce que l’Ordre t’autorisera ou pas, mais je suis sûre que tu la reverras très vite.
– Tu sais, depuis que j’ai l’âge de parler, je ne rêve que de devenir navigateur d’un transport spatial. Qu’est-ce que je vais devenir si jamais j’échoue en tant que Jedi ?
– Qui te fait croire que tu vas échouer ? Anakin, je n’ai jamais connu un garçon tel que toi. Tu as fait preuve d’un très grand courage lors de la course de modules. Et si tu es parvenu à remporter la course, tu réussiras ta formation Jedi. Qui-Gon a toute confiance en toi et… moi aussi… j’ai confiance en toi.
Anakin, qui jusque-là n’arrivait pas à maîtriser les tremblements de son corps, sembla s’apaiser en entendant cette dernière phrase.
– Tu es sûre de ne pas être un ange ? »
Malgré elle, Padmé esquissa un sourire charmé et rougit même, face à cette remarque. Sentant le rouge lui venir aux joues, probablement aussi rouge que son cœur, Padmé se déroba au regard d’Anakin en examinant le reste de la pièce par-dessus son épaule, là d’où émanait les ronflements de l’autochtone de Naboo. Au même moment, Jar Jar Binks s’éveilla en émettant un long et bruyant bâillement, qui faillit lui décrocher la mâchoire et le faire tomber de son siège. Par chance, il se réveilla juste à temps pour se rattraper de justesse à la table métallique, placée en face de lui. Suite à la mésaventure du gungan, qui dorénavant avait les yeux exorbités, le visage de Padmé reprit une teinte beaucoup plus normale et neutre et elle put se retourner vers Anakin. La voix de Padmé baissa alors en intensité, mais elle garda néanmoins une extrême douceur et un ton rassurant.
« Coruscant est encore loin. Tâche de te reposer, » dit-elle en caressant affectueusement les cheveux blonds d’Anakin.
Elle s’apprêtait à partir quand celui-ci la retint par un pan de son hijab orangé.
– Tu veux bien rester avec moi ? S’il te plaît. »
Padmé acquiesça alors et alla se mettre à côté d’Anakin. Celui-ci reposa sa petite tête ronde et blonde sur l’épaule de Padmé. Les minutes défilèrent à la vitesse de la lumière et dans le silence de l’espace, Padmé ressentit le besoin de fermer ses paupières. Elle s’endormit avec l’image de sa planète en tête et peu de temps après, la Nubienne et le Tatooïnien dormaient ensemble, côte à côte, chacun trouvant du réconfort dans les bras de l’autre.