En l’espace d’une seconde à peine, son plus précieux pot de fleur disparut comme par magie.
« Par la barbe de Merlin ! Essayez d’y mettre un peu du vôtre jeune homme ! Allez, réessayez encore une fois ! Et tâchez de vous concentrer s’il vous plaît ! » Ordonna Ollivander à son client d’une voix désagréable, et peu coutumière de la part d’un vendeur.
Le concerné leva donc sa baguette et faisant à nouveau le geste adéquat, faucha sans le vouloir en plein vol le pauvre hibou d’Ollivander, qui voulait simplement aller d’un endroit à l’autre de la boutique. Une pluie de plumes s’abattit alors sur la tête dégarnie du fabricant de baguettes magiques, le casquant ainsi par la même occasion d’une bien surprenante perruque.
Exténué, Ollivander s’affaissa sur sa chaise sans mot dire. L’air dépité, il soupira de découragement. Ce n’était pas tant la perte de son oiseau personnel qui le démoralisa que la prise de conscience soudaine de la disparition inéluctable de son pot favori, car celui-ci contenait une racine de filet du diable, vieille d’une bonne centaine d’années. Cette perte avait été la goutte d’eau qui avait fait déborder le vase.
Devant lui, un nombre impressionnant d’étuis pour baguettes recouvrait son bureau de sureau pour former une grande pile instable, d’un aspect semblable à celui d’un château de cartes. Cela allait bientôt faire sept heures que le spécialiste des baguettes pour sorciers tentait de trouver celle qui pourrait bien correspondre à ce jeune garçon de onze ans, qui allait bientôt débuter sa scolarité à Poudlard. Mais après tant de temps et tant de baguettes déjà utilisées, Ollivander n’arrivait plus à trouver un modèle qui pourrait correspondre à ce garçon, responsable de la ruine de son magasin. Son abattement était tel qu’il se refusait même à éteindre ce feu qui ravageait l’une de ses étagères, et qui réduisait par la même occasion en un tas de cendres des années de travail et des baguettes, datant du début du millénaire. Un rapide coup d’œil jeté en direction de la porte vitrée de sa boutique lui fit même envisager l’idée d’abandonner son métier, d’hypothéquer l’établissement familial pour une bouchée de pain, afin de prendre la place de cet elfe de maison du trottoir d’en face, qui gagnait tant bien que mal sa croûte en mendiant, de l’aube jusqu’au coucher du soleil. À la vue du capharnaüm qu’il allait devoir ranger, il envisagea très sérieusement cette reconversion professionnelle.
Tout ceci était tout de même à peine croyable… Comment diable cela se faisait-il qu’aucune baguette ne veuille appartenir à ce garçon ? À croire que celui-ci était précisément le fils du diable incarné pour être rejeté autant de fois. L’enfant, lui-même agacé par ce nouvel échec, jeta brusquement et impoliment sa baguette aux pieds d’Ollivander. Ce dernier, en la ramassant, constata qu’il émanait d’elle une étonnante chaleur, comme si elle avait passé une heure entière dans un chaudron d’eau bouillante… Il poussa plus loin ses investigations magiques et ressentit l’âme de la baguette, envahie, engloutie et submergée d’une frayeur indescriptible et si intense qu’Ollivander n’aurait jamais cru qu’un tel niveau d’effroi pût exister. Cependant, il n’avait pas trop le temps pour réconforter ce morceau de bois. Pour l’heure, son devoir immédiat était de s’occuper de cet apprenti sorcier, qui était décidément l’acheteur le plus insupportable et le plus mystérieux qu’il lui avait été donné de rencontrer. Alors, à court d’idées mais surtout de patience, pour la toute première fois de sa carrière de commerciale, Ollivander laissa l’opportunité à un élève sorcier de choisir lui-même sa propre baguette.
« Soit mon garçon. Va à la recherche de ta servante… » déclara-t-il d’une voix à peine audible.
Après tout, puisque jusqu’à maintenant, aucune baguette n’avait encore eu l’intention de faire de lui son maître, Ollivander ne pouvait que laisser cet enfant chercher à sa place dans tout son magasin. En outre, cela lui permettrait de réfléchir plus sereinement à sa reconversion professionnelle. Certes, jamais encore il n’avait fait ce genre de chose auparavant, et il savait bien que si par hasard son défunt paternel venait à l’apprendre, il viendrait sûrement hanter ses rêves jusqu’à la fin de ses vieux jours pour son manque de confiance qu’il avait témoigné envers les baguettes magiques. Mais, malgré la crainte de se faire sermonner à vie, Ollivander était cependant certain de faire le bon choix. Intuitivement, il était en effet persuadé que son client actuel deviendrait très prochainement un futur grand sorcier, et qu’il accomplirait sans aucun doute de très grandes choses dans le monde magique, si toutefois bien sûr celui-ci parvenait à trouver son bâton de sorcier avant la fin de la journée.
Son unique client se balada donc librement entre les étagères de sa boutique en quête de sa future moitié, de cet outil indispensable et indissociable de tout bon sorcier. Montre en main, il ne fallut pas plus de trois minutes au garçon pour qu’il fasse le tour complet du petit bric-à-brac familial. L’héritier des Ollivander resta muet durant tout au long de son exploration, attendant avec patience mais également avec crainte que cet enfant maudit trouve son arme de magicien. Le garçon fit un second passage, puis un troisième, avant de s’immobiliser soudainement devant l’une des plus anciennes étagères de l’établissement. Portant son regard vers le sommet poussiéreux de celle-ci, il demeura immobile, comme s’il était envoûté par un chant silencieux. Ollivander suivit son regard et déglutit d’appréhension à l’idée de devoir se lever pour remettre à ce fauteur de troubles une nouvelle arme entre ses mains destructrices. Mais à sa grande surprise, au lieu de pointer du doigt la baguette qu’il voulait obtenir, le garçon se mit de lui-même à grimper à l’échelle en bois pour l’attraper par ses propres moyens. Arrivant tout en haut de l’échelle, il prit encore plus de hauteur en se hissant sur la pointe de ses pieds pour pouvoir attraper un très ancien étui en bois, partiellement recouvert d’une épaisse toile d’araignée. Tout en l’observant, Ollivander se surprit lui-même à prier de toutes ses forces l’enchanteur Merlin, dans l’espoir que son fantôme fasse tomber ce gamin, afin qu’il devienne amnésique suite à cette chute et qu’il oublie ainsi pourquoi il était venu ici chez lui. Cependant, au grand désespoir du gérant, le garçon, après avoir examiné pendant un bref instant le vieil étui, redescendit de l’échelle avec précaution avant de se diriger vers Ollivander. Ce dernier avait désormais les doigts littéralement croisés, priant silencieusement et espérant de tout son être que cette baguette était enfin la bonne.
Le cœur du vieux sorcier s’arrêta presque de battre à l’approche de l’enfant, et il ne reprit un rythme normal que quand celui-ci arriva à sa hauteur et se figea droit devant lui. Ollivander s’apprêta alors à parler quand tout à coup, le petit bonhomme aux cheveux noirs eut alors l’étonnante réaction de sortir de sa poche les 7 galions d’or que coûtait la baguette, sans même prendre la peine d’essayer au préalable sa nouvelle acquisition.
« Tu ne veux pas la tester avant sur les vitres de mon magasin ? » Demanda d’ailleurs Ollivander d’une voix quelque peu tremblotante, craignant très certainement une réponse affirmative de sa part.
Néanmoins, le vieil homme essaya tout de même de lâcher un sourire pour ne pas se montrer trop froid envers ce pauvre gosse qui n’avait absolument rien demandé. Après tout, ce n’était pas de sa faute à lui si aujourd’hui, les baguettes s’étaient montrées aussi capricieuses. Sauf que l’enfant se borna à répondre par un simple signe négatif de la tête, et tendit immédiatement sa main chétive, débordante de pièces dorées. Malgré le fait que ce garçon ne voulait pas vérifier par lui-même si cette baguette serait prête à lui obéir, Ollivander ne pouvait sciemment remettre à un enfant aussi jeune un objet d’un tel pouvoir sans avoir consulté la baguette en question au préalable. Bien qu’Ollivander soit lui aussi très pressé de conclure cet achat, car plus tôt ce garçon quitterait les lieux, mieux cela serait pour sa santé mentale, le maître de la vente se concentra très brièvement afin d’entrer en communication secrète avec l’âme de la baguette. Avec sa longue expérience d’homme qui murmurait à l’oreille des baguettes, il parvint ainsi à entendre très rapidement et très distinctement la décision du bois d’if et de la plume de phœnix sans même l’avoir sortie de sa modeste boîte. Ainsi, ce fut avec un énorme soulagement qu’Ollivander apprit que cette baguette consentait à devenir la propriété de ce perturbateur. Cette fois-ci, c’était enfin la bonne. Celle qui donnerait l’accès au garçon à la prestigieuse école de Poudlard fut également celle qui vint en un rien de temps redonner goût au travail d’Ollivander, tout en lui rendant sa confiance aveugle et absolue envers l’ensemble des baguettes magiques.
Ni une ni deux, Ollivander s’empressa donc de mettre un terme à cette entrevue. Une fois l’achat effectué, il se précipita jusqu’à la porte de son magasin pour l’ouvrir avec courtoisie à son client. Son visage reprit alors immédiatement le sourire habituel que l’on est censé attendre d’un commerçant, et tapotant la fragile épaule du garçon, il lui souhaita une très belle année à Poudlard. L’éphèbe Tom Jedusor quitta ainsi le marchand avec cette idée, qui traversa son esprit et celui du vieillard, à savoir qu’il allait mettre une sacrée pagaille dans le monde magique, à l’image de la boutique de ce regretté Ollivander.