Seul de ses camarades à être encore présent dans la salle de classe, Jordan avait son postérieur vissé à sa chaise. Pourtant, il était largement l’heure de rentrer à la maison, mais il n’avait plus aucune intention de partir, depuis que sœur Mary avait, une fois encore, laissé sa place à la vision d’une femme mannequin d’un magazine de lingerie fine. Et, comme très souvent lorsque la dame imaginaire apparaissait sans prévenir, celle-ci se retrouvait simplement vêtue d’un peignoir en soie fin, ouvert sur deux sous-vêtements en dentelle, ainsi que d’une paire de mules à talons.
Jordan demeurait hypnotisé par cette démone tentatrice à la beauté angélique. Il était donc en train de la contempler, avec un grand sourire pervers aux coins des lèvres. Car sa belle enlevait les traces de craie blanche sur le tableau noir à l’aide d’une éponge le plus sensuellement possible.
Le garçon afro-américain de dix ans l’observait tandis qu’elle nettoyait l’ardoise noire. Il regardait à la fois ses mains aux longs doigts fins tenir l’éponge ; en rêvant au passage qu’elle en vienne à caresser autre chose de beaucoup plus personnel, mais il observait aussi son dos de déesse, caché par sa longue chevelure brune et ondulée qui ressemblait à celle des princesses.
Bien que Jordan ne fasse que peu de bruit et qu’elle n’avait même pas remarqué sa présence, elle se retourna enfin après un certain temps, tout en arborant son large sourire charmeur, dont elle seule avait le secret.
– Jordan ? Tu ne rentres pas chez toi ? lui dit-elle de sa voix mélodieuse et séductrice, telle le chant d’une sirène.
– Nan… répondit Jordan de manière stupide, trop aveuglé par son amour.
– Tu ne comptes quand même pas dormir ici ? renchérit-elle avec le même ton aguicheur.
– Je ne sais pas… dit-il amusé, en lui décochant un clin d’œil.
C’est alors que sœur Mary descendit de l’estrade et se rapprocha de lui, ses talons claquant contre le linoléum. Puis, une fois arrivée devant son pupitre, elle lui demanda :
– Jordan ? Est-ce que ça va ? dit-elle tout en posant le dos de sa main sur son front comme pour vérifier s’il avait de la fièvre.
Jordan en apprécia évidemment le contact doux de sa peau, chaude comme le sable californien. Mais la seconde d’après, la vision paradisiaque s’estompa soudain et la vieille sœur Mary de plus de soixante ans réapparut devant ses yeux. Ayant à nouveau la religieuse en face de lui, Jordan bondit de sa chaise à la vitesse d’un kangourou en fuite, rangea son magazine de lingerie féminine entre les pages de son gros manuel de géographie pour reporter ce rêve d’aujourd’hui au cours du lendemain, comme hier.