En ce tout début d’après-midi, la classe entière baignait dans une atmosphère plutôt studieuse. Les écoliers, filles et garçons, s’affairaient à leurs devoirs, tournant une à une les pages de leur gros livre de géographie avec un doux bruissement. Les chuchotements discrets de ceux qui se concertaient discrètement se mêlaient au léger grattement des mines de crayon sur les feuilles des cahiers de brouillon. Le tic-tac régulier de l’horloge accrochée au mur, juste au-dessus du tableau noir, créait, quant à lui, une cadence apaisante, ponctuant le silence religieux de la classe. Chaque seconde semblait s’étirer lentement alors que les élèves s’efforçaient de se concentrer sur leurs travaux.
Résonnaient aussi dans la pièce les pas mesurés de sœur Mary, dont chaque talon claquait précisément et régulièrement sur le linoléum, lançant un écho à travers les rangées de pupitres silencieux. Le bruit de ses chaussures qui frottaient légèrement contre le sol ajoutait une note de solennité au calme de la salle de classe. L’ambiance attentive et concentrée était presque palpable. Les regards des élèves étaient fixés sur leur ouvrage, même si leur esprit divaguait parfois, s’évadant et rêvassant dans leur esprit.
C’est dans cet environnement feutré que Jordan, coiffé d’un bonnet d’âne pour avoir peloté sa maîtresse d’école, décida de tenter le tout pour le tout, avec l’espoir que peut-être, son fantasme quotidien se réaliserait enfin, au milieu de cette ambiance, à la fois si paisible et propice à cette facétie. Jordan, désireux de rappeler au plus vite son hallucination favorite, referma soudain son manuel de géographie en entendant dans son dos sœur Mary qui se rapprochait de lui. Les pas de la vieille religieuse résonnaient de plus en plus fort, trahissant son approche imminente, tandis qu’elle se dirigeait patiemment vers son bureau.
Puis, Jordan sentit monter l’excitation, mêlée à une pointe de nervosité. Son cœur se mit à battre beaucoup plus rapidement au fur et à mesure qu’il sentait sœur Mary approcher. Avec un timing parfait, au moment précis où sœur Mary passait à côté de lui, il fit glisser son livre entre ses doigts et celui-ci tomba sur le sol. Le bruit du livre qui s’ouvrit en heurtant le linoléum pour claquer brièvement comme un coup de fusil capta instantanément les regards de quelques camarades qui se concentrèrent sur Jordan.
Tout de suite après, Jordan décida de corser le défi et se rendit volontairement aveugle en fermant les yeux, afin de donner un petit coup de pouce à son imagination. Ainsi, elle prendrait plus facilement le pas sur la réalité. Dans les ténèbres de ses paupières, désormais closes, le garçon se représenta alors l’Autre Sœur, comme il aimait l’appeler. Il s’agissait en fait d’une mannequin de 31 ans, mesurant 1,70 m, pesant 52 kilos, à la longue chevelure marron bouclé, aux yeux couleur d’ambre et au teint délicieusement hâlé. Il l’avait découverte en feuilletant un magazine de sous-vêtements féminins pour son petit plaisir personnel, comme tout adolescent de son âge.
Mais depuis qu’il avait posé son regard sur sa divine silhouette, Jordan n’arrêtait pas de penser à elle et, désormais, cette dernière apparaissait dans toutes ses hallucinations d’adolescent. Chose curieuse, celles-ci avaient bizarrement lieu uniquement en cours de géographie et toujours en présence de sœur Mary, d’où l’explication de son surnom de l’Autre Sœur. Son esprit bouillonnait à l’idée de rencontrer à nouveau cette professeure sur laquelle il fantasmait, mais au moment où il s’y attendait le moins, Jordan fut tiré de sa torpeur par une voix sensuelle, tout près de son oreille et qui disait simplement : « Jordan… »
Cette voix qui l’appelait en murmurant délicieusement son prénom de la façon la plus sensuelle qui soit sonnait comme une merveilleuse promesse, qui fit frissonner chaque fibre de son être. Sous le magnétisme de ce timbre mélodieux et romantique, le cœur battant à tout rompre, Jordan rouvrit les yeux avec la même excitation qui caractérise un enfant face à une surprise, impatient de déballer son cadeau d’anniversaire. Cependant, son regard ne balaya pas longtemps la salle de classe afin de trouver la source de cette magnifique voix, qu’il reconnaîtrait entre mille. Ce fut là, à sa gauche, là où aurait dû se trouver sœur Mary, que se tenait l’Autre Sœur, telle qu’il l’avait imaginée un peu plus tôt.
Celle-ci arborait son habituel sourire ravageur, large et éclatant, débordant de charme. Les contours de son visage angélique se dessinaient harmonieusement, soulignés par la lumière tamisée des rayons du soleil, filtrés par les stores des fenêtres. Ils donnaient à sa peau bronzée et dorée l’éclat irréel d’une apparition. Ainsi, en à peine une seconde, Jordan fut complètement submergé par une vague, ou plutôt, pour dire la vérité, par un tsunami de désir devant cette illusion qui avait l’air si réelle.
L’Autre Sœur, vêtue d’un fin peignoir en soie Bordeaux qui caressait délicatement ses somptueuses courbes, ouvert sur des sous-vêtements en dentelle rose, d’une sensualité indiscutable, chaussée de hauts talons, était tout proche de Jordan. D’une voix suave et chargée d’amour, elle lui sourit en demandant d’un ton presque dragueur :
– Qu’est-ce qui ne va pas ?
Un sourire béat se dessina sur le visage de Jordan, alors qu’il répondait par un simple :
– Rien.
L’Autre Sœur, à l’aura surnaturelle, s’accroupit alors avec une grâce hypnotisante pour ramasser le livre qui était ouvert à terre.
Dans cette posture, à la fois gracieuse et sensuelle, l’Autre Sœur, avec son beau peignoir en soie ouvert sur ses sous-vêtements tape-à-l’œil, dévoilait sans pudeur ses cuisses impeccablement galbées. Ses jambes interminables s’étaient pliées avec élégance, ses talons faisant office d’assise à ses fesses fermes et rebondies. Sa longue chevelure, certainement soigneusement entretenue, tomba en avant en une cascade de boucles, encadrant son visage maquillé avec goût et élégance. Ses genoux, collés l’un contre l’autre en un subtil mouvement artistique, se pressaient contre sa poitrine opulente, rajoutant une touche supplémentaire de provocation. Nul doute qu’au-dessus de son ventre plat et musclé, sous sa lingerie en dentelle affriolante, se cachait une paire de seins d’une taille plus que convenable pour les mains d’un puceau en appétit. Ce ravissant tableau émoustillait les sens et révélait un tableau éminemment érotique, qui affolait les hormones du jeune Jordan.
Avec ses belles pupilles ambrées et pétillantes d’un amour fou, l’Autre Sœur regarda Jordan droit dans les yeux et lui dit de sa plus belle voix, toujours agenouillée et en lui tendant son livre :
– Tu devrais davantage prendre soin de tes affaires.
Captivé par son apparence d’une indéniable beauté, quasi irréelle, Jordan, d’un air benêt, répliqua un peu sottement :
– Je sais.
Mais tandis que la ravissante jeune femme était encore agenouillée gracieusement, Jordan, comme envoûté, tenta de saisir sa chance. Sans plus attendre, il se pencha et, avançant sa bouche, rapprocha délicatement son visage, dans l’unique but d’effleurer la douceur de ses lèvres. Elles étaient irrésistiblement appétissantes, couvertes d’un gloss brillant et semblaient n’attendre que les lèvres du garçon pour lui faire vivre un instant magique.
Toutefois et très brusquement, ce rêve, tel un mirage éphémère, s’évanouit à la seconde même où la bouche de Jordan entra en contact avec celle de son fantasme. Il n’eut pas vraiment le temps d’en apprécier le goût fruité, puisque la dure réalité le frappa avec une brutalité implacable. En effet, il se rendit compte qu’il n’embrassait pas la jolie mannequin à la peau dorée, mais bel et bien la vieille enseignante qu’était sœur Mary ! La surprise et l’horreur les plus totales se peignirent sur le visage de Jordan alors qu’il sursautait et reculait précipitamment, ses yeux grands ouverts de panique et emplis de dégoût. S’ensuivit une lourde chute pour le jeune afro-américain, en criant si fort qu’il attira immédiatement l’attention de tous ses camarades.
L’incident provoqua un tumulte de rires incontrôlables, leurs voix joyeuses se mêlant en une cacophonie contagieuse d’hilarité. Les éclats de rire résonnèrent dans toute la pièce, électrisant l’ambiance. Pendant ce temps, sœur Mary était restée figée, abasourdie et décontenancée face au comportement inattendu de Jordan, qui allait écoper d’une nouvelle semaine, coiffé de son bonnet d’âne. Son visage exprimait une confusion mêlée à une pointe de peur, tandis qu’il cherchait à comprendre ce qui venait de se produire. La classe entière était emportée dans cette vague de rires, apportant enfin un petit moment de légèreté dans l’environnement strict et studieux de l’école, grâce à ce couvre-chef que Jordan arborait un peu trop souvent.