Colin était un petit poisson. Oh, ne vous y trompez pas, ce n’était pas juste un petit poisson. C’était, et de loin, le plus petit poisson de la mer. Les autres ne connaissaient même pas son prénom, tant ils avaient pour habitude de le nommer sous son simple titre du plus petit poisson de la mer. Colin était triste de cette situation. Il était si petit, que personne ne le voyait jamais. Du moins le croyait-il…
Jour après jour, Colin se rendait joyeusement à l’école. Il aimait bien l’école. Apprendre de nouvelles choses tous les jours lui plaisait énormément ! Un jour, quand il serait grand, il partirait visiter tous les beaux endroits de la mer dont la maîtresse, Mademoiselle Maquereau, leur parle si souvent. Cela dit, ces derniers temps, la petite étincelle de joie de vivre s’était peu à peu éteinte dans les yeux de notre ami.
« Bah ! De toute façon, je suis bien trop petit, je ne pourrais jamais découvrir le monde ! Et puis, je n’ai pas d’amis, je suis si petit qu’ils ne me voient même pas, et refusent de jouer avec moi à la récréation ! Non, c’est sûr, toute ma vie, je serai le plus petit poisson de la mer et je serai seul !».
La maman de Colin a bien vu que quelque chose n’allait pas chez son fils. Il se confie à elle. Il lui dit combien il se sent invisible auprès de ses camarades de classes, qu’il voit comme tous comme très grands et très forts. Maman a beau lui expliquer que Tanguy, la p’tite anguille, n’est guère plus grande que lui, rien n’y fait. Colin s’enfonce un peu plus dans sa mélancolie…
Heureusement, l’Univers va mettre tout en œuvre pour lui donner une jolie leçon de vie et lui montrer qu’il n’y a que la grandeur du cœur qui compte…
Ce matin-là, Mademoiselle Maquereau avait autorisé les enfants à sortir un peu plus tôt en récréation. Elle avait un important coup de téléphone à passer, et elle serait plus tranquille toute seule dans sa classe.
Gordon le gardon, qui était, il faut bien le dire, le plus intrépide et le plus fripon de tous les élèves de la classe, lança durement : « Allez on fait un foot ! Toi Merlin, tu te mets avec Sandrine, et moi, je me mets avec Clark ! Et toi Colin, évidemment tu ne joues pas, tu es beaucoup trop petit !».
C’en était trop cette fois pour Colin ! Il avait le cœur si lourd… Il alla lentement tournoyer autour d’un arbrisseau, le temps que la récréation prenne fin…
Soudain, on entendit Mademoiselle Maquereau pousser un cri depuis l’intérieur de la classe. Les enfants s’arrêtèrent de jouer instantanément. Que pouvait-il bien se passer pour que Mademoiselle Maquereau, d’ordinaire si calme et si douce, ne se mette à crier ainsi. Gordon regarda Clark, qui regarda Sandrine, qui elle-même regarda Merlin. Tous cherchaient des réponses, que bien sûr personne n’avait. En revanche, nul ne regarda Colin, car comme il était minuscule, il ne savait évidemment rien des causes de l’incident.
Les enfants se rapprochèrent penauds de la fenêtre de la classe, pour tenter d’apercevoir Mademoiselle Maquereau. Tous voulaient comprendre ce qui se passait et pourquoi la maîtresse avait crié ainsi. Gordon fut le premier à l’apercevoir. Il était le plus grand d’entre eux et avait donc quelques facilités. Il revint alors vers ses camarades et leur dit :
« Oh mince alors les amis, elle pleure… ».
Les enfants ne s’y attendaient pas. Ils n’avaient jamais vu Mademoiselle Maquereau pleurer ! Elle était même le sourire et la joie de vivre incarnés !
« Peut-être qu’elle est tombée et qu’elle s’est fait mal » dit Sandrine, à qui il arrivait de verser quelques larmes quand elle se cognait ou quand elle tombait dans la cour de récréation.
« Mais non, dit rudement Gordon, les adultes ne font pas ça. C’est sûrement plus grave. Il faut faire quelque chose ! Je vais aller lui demander ce qui se passe ! ».
Les autres auraient bien voulu dissuader Gordon d’aller interroger la maîtresse sur ses états d’âmes, mais personne ne s’y risqua. Aucun d’entre eux n’avait envie de déchaîner les foudres du tempétueux Gordon !
C’est ainsi que Sandrine la sardine, Merlin le merlan et Clark la carpe attendirent le retour du fougueux Gordon. Colin était là aussi, mais personne ne s’en souciait. Il n’était que le “plus petit poisson de la mer” après tout. Là ou pas, Colin n’avait, selon eux, rien à apporter à la situation.
Gordon refît enfin son apparition. Il avait l’air grave. Les enfants étaient maintenant suspendus à ses lèvres. Il devait se passer une chose épouvantable pour que même Gordon ait soudainement un air aussi sérieux !
« Bon voilà, euh… Mademoiselle Maquereau a un coup de téléphone très important à passer. Elle doit appeler son père, souffrant depuis hier, pour prendre de ses nouvelles. Elle est très inquiète pour lui. Il est très âgé désormais… Et euh… en sortant son téléphone de son sac, il est tombé par terre. Oh, il n’est pas cassé, il fonctionne toujours parfaitement, mais la puce a jailli de l’appareil et est allée se nicher dans un tout petit recoin sous son bureau. Nous sommes tous beaucoup trop gros pour nous faufiler dans cette minuscule brèche et aller récupérer la puce du téléphone. Et sans puce, Mademoiselle Maquereau n’a aucun moyen d’appeler son père.
Colin avait naturellement suivi toutes les explications données par Gordon. Soudain, il eut comme une révélation ! Oui, ils étaient tous trop gros pour aller récupérer la puce électronique dans cette minuscule faille. Tous, sauf lui ! Mais alors qu’il en était tout à son raisonnement, voilà que Gordon s’était approché de lui.
« Dis, euh, Colin…»
Gordon connaissait donc son prénom, pensa Colin !
« Tu es petit, tu n’auras aucun mal à te faufiler dans la petite fente où est tombée la puce. Qu’en penses-tu ?».
Colin ne prit pas même le temps de répondre à la question et se précipita à l’intérieur de la classe. Il ralentit en s’approchant de Mademoiselle Maquereau, encore toute à son désespoir.
« Je pense pouvoir vous aider Mademoiselle. Montrez-moi où est tombée la puce de votre téléphone. Je suis petit et habile, je saurai vous la rapporter.»
Mademoiselle Maquereau le regarda d’abord incrédule, puis, s’essuyant les yeux et reprenant progressivement ses esprits, elle lui montra l’endroit où le minuscule objet s’était engouffré avant de disparaître.
En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, Colin se précipita dans le petit trou et en ressortit avec la précieuse puce ! Mademoiselle Maquereau était aux anges ! Elle embrassa chaleureusement Colin ! Elle était si heureuse ! Elle allait pouvoir prendre des nouvelles de son père tant aimé.
« Je suis ravi d’avoir pu vous aider Mademoiselle. Je vais maintenant retourner dans la cour pour vous laisser passer votre appel. »
Colin rejoignît ses camarades. Gordon s’approcha de lui assez solennellement.
« Je te dois des excuses Colin. Tu as beau être le plus petit poisson de la mer, ta petite taille peut être très utile. On a toujours besoin d’un plus petit que soi, je le sais maintenant. ».
Colin rougit. Il était très heureux d’être enfin reconnu comme un des leurs.
Sandrine s’agita tout à coup. Elle était restée près de la fenêtre pour observer Mademoiselle Maquereau pendant son appel, la petite curieuse !
« Regardez les amis, Mademoiselle Maquereau à le sourire ! Son père va bien ! C’est fantastique !»