Du haut de ses quatorze ans, en pleine fleur de l’âge et à l’aube de la puberté, Hermione Granger ne pensait qu’au premier garçon qui viendrait effleurer ses lèvres pour lui donner son tout premier baiser d’amoureux. Qui serait donc l’heureux élu à l’embrasser pour la première fois ? Hermione ne pouvait s’enlever cette question de la tête depuis le jour où celle-ci s’était implantée dans son esprit pubère. Durant le début de sa troisième année scolaire à Poudlard, cette interrogation l’obsédait d’ailleurs à un tel point que la jeune étudiante en sorcellerie devint de plus en plus assidue lors des cours de divination de madame Trelawney, car elle avait en effet bon espoir de voir apparaître un jour ou l’autre, comme par magie, le nom de son futur prétendant dans une boule de cristal. Et tout ce dont rêvait la née-moldue, c’était qu’il s’agisse de nul autre homme que Gilderoy Lockhart. Car oui, malgré la révélation de sa supercherie l’année précédente qui avait mené à son internement à perpétuité à l’hôpital Sainte-Mangouste, Hermione l’aimait toujours, d’un amour aussi passionnel que celui d’un Gobelin envers les pièces de monnaie. Que ne donnerait-elle pas en effet, pour qu’on l’appelle un jour madame Lockhart !
Voici pourquoi miss Granger, en ce 14 février 1994, se trouvait en tête à tête avec madame Trelawney. En ce jour de la fête des amoureux, sous les auspices du sorcier Cupidon, Hermione souhaitait par-dessus tout connaître la réponse à la demande qu’elle avait formulée et elle espérait bien que sa professeur lui annonce qu’elle deviendrait un jour ce qu’elle rêvait d’être depuis toujours, à savoir : Hermione Lockhart, l’épouse du magicien qu’elle considérait toujours comme le plus grand de tous les temps. Et bien qu’Hermione ait vraiment du mal à prendre au sérieux cette dame extravagante qu’était Sibylle Trelawney, son envie de savoir à tout prix était si forte qu’elle était prête à tout croire. Même à croire que cette femme avait véritablement un don pour la divination.
Malgré sa méfiance envers les talents de Trelawney, la jeune Granger commença sa séance privée avec elle dans l’espoir de découvrir enfin l’identité de son futur bien-aimé. Seule à seule avec l’institutrice, Hermione regardait avec des yeux emplis d’espérance les gesticulations bizarres auxquelles s’adonnait Trelawney. Assise en face de la professeur, séparées seulement d’un petit guéridon, Hermione avait ses mains jointes coincées entres ses cuisses et priait ainsi secrètement le fantôme du magicien Merlin pour que l’entrée en communication avec l’avenir se passe sans encombres.
L’apprentie sorcière avait aussi des yeux partout, observant avec une minutieuse attention les moindres faits et gestes de son enseignante, de façon à potentiellement déceler chez elle une possible arnaque. Cette dernière avait les mains jointes comme Granger mais, contrairement à l’écolière, elle bougeait énergiquement ses mains, tantôt au-dessus de sa tête ébouriffée, tantôt tout près de ses maigres épaules saillantes. À l’intérieur, enfermée dans ses paumes, se trouvait ce qui semblait être une poignée d’osselets, ou bien alors des petits cailloux, car le bruit qu’Hermione entendait quand son enseignante agitait ses mains ressemblait à s’y méprendre au son significatif des maracas.
Puis brusquement, sans prévenir, Trelawney lâcha tout le contenu de ses mains sur la surface plane de son guéridon, comme si elle lançait de simples dés à jouer. Et là, Hermione remarqua à son grand étonnement et avec un début d’agacement, qu’il ne s’agissait en aucun cas de petits os de poulet ni même de cailloux, comme elle s’y attendait, mais simplement de dragées surprises de la marque Bertie Crochue. Hermione serra ses dents avec force face à cette pitoyable découverte. Heureusement que les imbécillités quotidiennes de Ron lui avait apprises, avec le temps, à canaliser son énervement, sinon elle ne se serait pas gênée pour faire un véritable scandale dans la salle de classe. Avec beaucoup de calme donc, Hermione parvint à prendre sur elle et tâcha de relativiser en imaginant que cette technique pour prédire l’avenir, même si elle était très loin d’être ancestrale, en était juste une parmi tant d’autres, et elle reprit dès lors son observation.
Trelawney s’était maintenant mise à regarder très attentivement la répartition de chaque bonbon sur la petite table ronde et, après avoir survolé chacun d’entre eux de ses doigts, elle en prit un dont la couleur était aussi bleue que celle d’un patronus et le mit immédiatement dans sa bouche. Elle se mit ensuite à mastiquer avec grand bruit puis, au bout de quelques petites secondes de dégustation, son visage déformé laissa présager à Hermione qu’elle était tombée sur un goût plus que désagréable. Trelawney se gratta ensuite mollement le menton d’un air circonspect et, après un temps qui sembla durer une éternité pour Granger, elle sortit du tiroir de la table ovale un paquet de cartes. D’un revers de son avant-bras, l’institutrice fit rapidement de la place sur le guéridon en balayant tous les bonbons qui s’y trouvaient. Battant le paquet avec dextérité, Trelawney coupa ensuite celui-ci en sept tas, puis demanda à son élève de piocher aléatoirement trois cartes, qu’elle disposa ensuite sur la table, le dos vers le plafond. Curieusement, ce n’était pas des cartes ordinaires avec des symboles de couleurs, ni même des cartes de tarot, mais bien des cartes de Chocogrenouille qu’utilisait la professeur de divination. Mais, malgré la découverte de ce nouvel outil prémonitoire assez surprenant, pour ne pas dire étrange, Hermione décida de passer outre. Plus rien ne semblait la surprendre désormais, et l’unique chose qui la préoccupait et qui l’obligeait à rester docilement et poliment en place était l’espoir de connaître bientôt l’identité de son futur mari. Après tout, qu’importe par quel moyen et avec quel objet elle y parviendrait ; tant qu’elle obtenait ce qu’elle voulait, rien d’autre ne comptait.
Après avoir jeté par terre le restant du paquet, Trelawney retourna une première carte sur les trois qu’Hermione avait choisie. La carte à l’effigie d’une des deux cofondatrices de Poudlard se dévoila alors soudainement à leurs yeux.
« Rowena Serdaigle, murmura Trelawney avant de se mettre brutalement à chanter a cappella :
Si vous êtes sage et réfléchi
Serdaigle vous accueillera peut-être
Là-bas, ce sont des érudits
Qui ont envie de tout connaître. »
Quelque peu gênée par cette chanson inattendue, Hermione demeura muette, laissant donc Trelawney suivre le fil de sa pensée.
« Serdaigle symbolise l’être intelligent. Celui qui vous donnera votre premier baiser amoureux sera donc quelqu’un doué d’une très grande intelligence. Et je dirais même plus, il est tout à fait probable qu’il soit affilié d’une façon ou d’une autre à cette prestigieuse maison. »
Grâce à ses nombreuses heures de lecture d’ouvrages biographiques consacrés à Gilderoy Lockhart qu’Hermione détenait dans sa bibliothèque personnelle, la sorcière se souvint brusquement des lignes qui mentionnaient les études du magicien à Poudlard au sein de ladite maison de Serdaigle, et elle redonna alors d’un seul coup toute sa confiance aux pouvoirs divinatoires de Trelawney et ce, malgré ses méthodes peu orthodoxes. Sans dire un mot, Hermione observa donc avec un œil nouveau Trelawney, qui était déjà en train de retourner la deuxième carte.
« Merlin, le maître des sortilèges ! Dit-elle avec une pointe de solennité dans sa voix. Votre premier amour aura des prédilections naturelles pour les enchantements en tous genres. Ses talents dans ce domaine seront plus qu’extraordinaires. »
La conviction profonde qu’il puisse s’agir de Gilderoy Lockhart sembla de plus en plus présente à l’esprit de la jeune Granger. Son rêve allait, après tous ces mois d’attente insoutenable, devenir enfin une réalité ! Car si son âme sœur se devait d’être un puissant enchanteur, et qui plus est, venir de la maison Serdaigle, eh bien alors, Lockhart était tout indiqué car il répondait déjà parfaitement à ces deux premiers critères.
Le cœur d’Hermione battait dorénavant de plus en plus intensément. C’était presque comme si elle passait un contrôle oral et qu’elle attendait avec appréhension sa note de la bouche de l’examinateur. Soumise au stress, Hermione regarda la toute dernière carte sur le guéridon avec grande impatience. Elle se mit d’ailleurs à regarder si fixement cette dernière que plus rien d’autre ne pouvait détourner son attention, pas même les mastications bruyantes de la bouche de Trelawney. Il ne manquait plus que la révélation de cette carte pour que le bonheur de Granger soit complet.
Cependant, une fois que cette troisième et dernière carte fut dévoilée, elle laissa Hermione circonspecte, car il s’agissait d’Ug le Faux, surnommé également le Pafiable. Devant cette carte, l’élève et l’enseignante se murèrent dans le silence le plus total. Ce vil gobelin de la révolution industrielle était resté tristement célèbre dans l’Histoire Magique pour avoir été l’un des plus grands escrocs de son époque, et Hermione en vint alors à se demander quel pouvait bien être le lien entre lui et son Gilderoy chéri. Car en effet, bien que la majorité des gens traitent Lockhart d’usurpateur, d’imposteur, de charlatan et de menteur, ou de tant d’autres sobriquets insultants, Hermione se refusait toujours à admettre qu’il ne puisse s’agir que d’un vulgaire escroc. La groupie avait toujours refusé de croire ses deux meilleurs amis au sujet de l’imposture de Lockhart. Pour elle, il restait un très puissant sorcier qui avait été injustement condamné l’année précédente, dans le seul et unique but de donner à Poudlard un bouc émissaire afin de fournir une explication sensée aux parents sorciers sur le cas des élèves pétrifiés. Hermione était même persuadée que Dumbledore en personne avait effacé la mémoire de Lockhart pour brouiller toutes les pistes de son innocence.
Ainsi, la présence de la carte d’Ug le Faux ne pouvait être qu’une banale erreur, ou pire encore, une attaque délibérée de la part de Trelawney envers Gilderoy Lockhart. Pour défendre alors l’honneur du magicien qu’elle continuait d’aimer en secret, Hermione osa dire d’un ton sec et accusateur, droit dans les yeux de sa professeur :
« Qu’est-ce que ça veut dire ?
– La cartomancie est un art magique qui nous enseigne qu’aucune carte ne vaut rien si elle est solitaire. Cette trinité de cartes que voici ne forme qu’un tout. Trois qui ne font qu’une. Le nom de votre premier amour est bien là, dissimulé derrière l’interprétation de cette triade, dit Trelawney d’une voix qui lui était pour la première fois peu coutumière, car elle semblait savoir ce dont elle parlait.
Le cœur d’Hermione s’emballa.
– Qui est-ce ? Dites-le moi ! Demanda t-elle avec une impatience incontrôlée.
Les doigts de Trelawney rassemblèrent alors les trois cartes pour former une petite pile et effleurant celle du dessus, elle lâcha dans un murmure étouffé un seul petit mot : Flitwick…
– Pardon ? Demanda Hermione d’une voix beaucoup plus forte que celle de son enseignante.
– Il s’agit de Filius Flitwick… Votre premier baiser… il vous sera donné par… le professeur Flitwick… »
Cette annonce fut un véritable coup de baguette en plein ventre pour Hermione. Instantanément, une douleur brutale lui meurtrit les entrailles et ses yeux bruns se mirent à sortir de leurs orbites, tellement l’idée lui était dégoûtante et ridicule. C’était purement et simplement d’une absurdité sans nom ! Comment Hermione pouvait-elle offrir sciemment son tout premier baiser à une personne aussi simiesque que le professeur de sortilèges et d’enchantements ? Éberluée et choquée par cette réponse, qu’elle considérait évidemment comme une fausse prédiction, Hermione en conclut directement que Trelawney ne pouvait être qu’un simulacre de professeur, un véritable charlatan. Ses prétendus talents pour la divination n’étaient en réalité que du pipeau pour conserver sa place plus que tranquille à Poudlard. Bien que toujours secouée par cette révélation pour le moins grotesque, Hermione se leva subitement de son tabouret et, sans même daigner dire quoi que ce soit à sa professeur, elle se dirigea d’un pas rapide vers la porte de sortie et l’ouvrit en trombe. Mais à peine venait-elle de poser un pied en dehors de la salle de classe qu’elle s’emmêla dans quelque chose et trébucha en avant en criant aussitôt à l’aide. Perdant l’équilibre et emportée par son élan, Hermione dévala l’escalier en spirale qui se situait juste devant la salle des cours de divination. Sa vitesse était si époustouflante que sa roulade incontrôlée fut extrêmement brève. Sa chute dans l’escalier ne sembla d’ailleurs durer en tout et pour tout qu’une demi-dizaine de secondes, mais cela s’avéra être amplement suffisant pour sonner la jeune fille. Sa chute fut d’ailleurs si soudaine et si inattendue qu’une fois sa course stoppée aux pieds des marches, Hermione fut incapable de se remettre immédiatement sur pied. Elle resta là, à terre, comme un paillasson au pied de l’escalier, le dos contre le sol, désorientée et en proie à des vertiges et à un début de migraine.
Après un court laps de temps pour lui permettre de récupérer un peu, Hermione parvint néanmoins à relever la tête pour regarder autour d’elle et découvrir l’endroit où elle avait atterri, non sans une certaine difficulté. Quand tout à coup, alors qu’elle observait l’escalier en spirale situé en face d’elle, tout en remerciant intérieurement les fantômes sorciers de lui avoir évité de se briser la nuque en tombant, elle vit dévaler à pleine vitesse, du haut des marches, une sorte de grosse boule bizarre et difforme qui se dirigeait dangereusement droit sur elle. Sans trop savoir ce que c’était réellement, Hermione sut néanmoins que cette chose était celle qu’elle avait heurtée en sortant de la salle de classe et qui était responsable de sa chute. La peur de cette chose qui fonçait sur elle à la manière d’un animal sauvage en pleine chasse ne lui permit pas de discerner convenablement ce que c’était. À première vue, ce globe étrange et informe était au moins d’une taille équivalente à celle d’un baluchon, ou plutôt à un tas de vêtements enroulés en vrac. Cette boule bizarre, car elle était tout sauf ronde comme un ballon, dévalait cependant les marches, telle une balle rebondissante. Inévitablement, cette masse disgracieuse vint terminer sa course en roulant sur la totalité du corps allongé d’Hermione, allant de ses pieds jusqu’à s’arrêter de façon nette et précise au niveau de son visage. Et là, sa peur se transforma immédiatement en horreur quand, les yeux grands ouverts, Hermione constata que c’était le professeur Flitwick qui se trouvait juste en face d’elle, sa vilaine petite bouche malencontreusement collée tout contre la sienne. Unies comme Trelawney l’avait prédit un peu plus tôt, leurs bouches respectives n’en formaient désormais plus qu’une, dans ce que l’on pouvait appeler dès à présent le premier baiser de miss Granger.
L’imposante moustache du professeur venait lui causer de désagréables chatouilles sur le bout de son nez et Hermione sentait à pleines narines l’arôme de banane flambée que sa pilosité faciale dégageait. Avec des yeux aussi ronds que deux Vifs d’Or, Hermione désemparée se sentait aussi faible et acculée qu’une proie offrant sa gorge à la gueule d’un prédateur carnivore. Une fraction de seconde plus tard pourtant, grâce à un rapide moment de lucidité, Hermione parvint à reprendre le contrôle afin de repousser vivement le professeur Flitwick qui était sur elle, comme si elle avait affaire à une simple couverture de lit, puis se releva.
De nouveau debout sur ses deux jambes, Hermione passa instinctivement ses doigts tremblotants sur ses lèvres, imprégnées d’un goût de banane. Ses yeux se portèrent ensuite vers le haut de l’escalier en spirale où là, bien malheureusement, elle vit apparaître Trelawney se tenir à la rambarde pierreuse, en train de l’observer avec un regard qui en disait long.
« Veuillez me pardonner miss Granger… » commença Flitwick de sa petite voix qui était si aiguë qu’elle avait sans le moindre doute le pouvoir de casser à elle seule des verres à pied.
Le visage rougi et marqué par la honte, Hermione fit semblant de n’avoir rien entendu et, portant ses mains directement à son cou, là où se trouvait son Retourneur de Temps, elle s’enfuit subitement en courant sans le moindre but, partant juste le plus loin possible de cet endroit.
Filius Flitwick, quant à lui, resta là sur place, à regarder partir l’écolière et, une fois seulement qu’il fut sûr et certain que celle-ci se trouvait bien loin, un sourire machiavélique vint curieusement se dessiner sur son faciès de singe. Flitwick se laissa même aller à passer sa langue sur ses lèvres souriantes, avant de remonter les marches de l’escalier en spirale en sautillant de joie, comme un enfant lorsqu’il sait qu’il vient de terminer sa journée d’école. Mais à peine venait-il d’arriver à hauteur de Trelawney qu’il vit immédiatement cette dernière lui tendre la main, comme pour mendier. Continuant de sauter joyeusement sur place, dansant presque, Flitwick tapa énergiquement dans la main tendue de sa collègue pour la remercier de sa coopération. Cependant, il s’arrêta net quand il constata que Trelawney avait sa main toujours ouverte et lui faisait un signe du menton en fronçant les sourcils, l’air sévère, comme pour réclamer quelque chose. Flitwick se figea alors, tira sur son col de chemise en déglutissant, se remit le dos bien droit comme le ferait tout gentleman de la haute société, et enfonça ensuite sa main dans une des poches de son veston. Il sortit alors 7 galions d’or qu’il déposa dans la main de Trelawney, et paya ainsi le prix que lui avait coûté cette prémonition préméditée.