Depuis le tout premier jour où il avait été nommé professeur et où il avait commencé à enseigner le noble art de la potionlogie à Poudlard, Severus Rogue avait toujours conservé ce même œil inquisiteur lorsqu’il présidait une salle de classe. D’ailleurs, au fil du temps, certains élèves en étaient même arrivés à dire que son regard dégageait le même pouvoir que celui d’un Basilic, et que le fait de le regarder droit dans les yeux pendant trop longtemps pouvait réduire son espérance de vie de moitié ! Ce qui faisait que le plus souvent, les jeunes étudiants sorciers évitaient soigneusement de le fixer directement dans les yeux, même lorsqu’ils se devaient de répondre à l’une de ses questions. Telle était l’imagination de ces enfants !
Encore aujourd’hui, après plus de treize ans d’enseignement, le visage aussi sévère que celui d’un Mangemort, Rogue observait et scrutait sa salle de classe bondée d’élèves. Bien entendu, ils avaient tous la tête plongée dans la préparation de leur potion ; le professeur, quant à lui, était à la recherche minutieuse de la moindre petite tricherie pour se donner enfin une raison valable de sortir sa baguette magique et de foudroyer d’un sortilège de stupéfix – ou autre joyeuseté dont il avait le secret – le premier ou la première qu’il surprendrait en train de tricher.
Avec patience donc, Rogue attendait son moment favori de la journée, cet instant où il humilierait l’un de ces étudiants en sorcellerie. C’était véritablement ce qu’on pouvait appeler son péché mignon. Son aversion envers l’ensemble des écoliers de Gryffondor était tellement grande qu’une fois par jour au moins, il éprouvait le besoin de ridiculiser l’un d’eux pour espérer passer une bonne journée. Alors, comme à son habitude, pendant que les élèves de la maison rouge et or travaillaient dans le plus grand calme, il réfléchissait sérieusement de quelle manière il allait bien pouvoir assouvir son petit plaisir gourmand. Métamorphoser un gryffondorien en fouine était pour le moment l’option qui lui plaisait le plus.
Puis, alors qu’il énumérait dans son esprit pervers toutes les possibilités qui s’offraient à lui, une élégante main blanche et féminine se leva soudainement au-dessus d’une petite tête brune, le coupant dans ses rêveries de tourments. La mâchoire de Rogue se crispa alors d’agacement. Comme à chaque fois depuis trois ans maintenant, c’était la même main qui venait se lever en premier, bien avant toutes les autres. Une fois encore, il s’agissait là de l’insupportable miss « Je-Sais-Tout » d’Hermione Granger, qui avait terminé son travail bien avant tous ses camarades de classe. Et l’expert en potion qu’était Rogue n’avait pas vraiment besoin d’aller goûter la mixture magique de Granger pour savoir que celle-ci était parfaite, comme toujours avec cette écolière. Car même de là où il se trouvait, il pouvait toujours faire confiance à son odorat expérimenté pour reconnaître une bonne soupe d’une mauvaise, et somme toute, l’odeur que cette dernière dégageait semblait la hisser au titre de « meilleure du semestre ». Il ne pouvait s’agir que d’une manie chez Granger de vouloir toujours être au centre de l’attention. Mais ce qui venait maintenant contrarier Rogue, encore plus aujourd’hui que tous les jours précédents, c’était que cette jeune sorcière ne semblait montrer aucune trace de peur face à son regard, pourtant tellement craint par tous ses camarades. Elle osait même le fixer impunément, droit dans les yeux, sans peur d’éventuelles représailles de sa part. Une telle insolence méritait donc bien une humiliation :
– Aujourd’hui, ce sera donc elle le réceptacle de ma méchanceté ! se dit intérieurement Rogue.
Désormais satisfait d’avoir enfin trouvé sa victime, Rogue bondit rapidement de son estrade et marcha droit en direction d’Hermione, pour aller non pas inspecter sa potion, mais avec l’idée de lui donner une bonne leçon de respect, tout simplement. D’ailleurs, Rogue s’avança d’un pas si déterminé vers Hermione que celle-ci abaissa net sa main, quelque peu apeurée par la brusque marche du professeur. Et, tandis que tous les autres élèves crurent que Rogue allait se mettre à l’enguirlander, ils furent bien plus surpris de voir leur professeur empoigner fermement les épaules de l’adolescente et de pencher dangereusement son visage en lame de couteau vers le visage blême de leur camarade surdouée.
Avec la rapidité d’un éclair, les lèvres fines et gercées de Rogue se collèrent brutalement contre celles, rose bonbon, de la jeune fille. Les écoliers alentours restèrent tous abasourdis et sans voix devant cette situation inopinée et pour le moins inattendue. Choquée par l’acte du professeur, Hermione elle même n’osait plus bouger. Et bien que l’apprentie magicienne était bien évidemment en proie à l’étonnement le plus complet, le maître des potions le fut davantage encore. En effet, celui-ci ne s’attendait clairement pas à autant de nonchalance de la part de son élève. Avant d’accomplir son méfait, il avait effectivement imaginé l’exact inverse que cet abandon total dont faisait maintenant preuve la sorcière. Et pourtant, alors qu’il avait pensé que ravir à l’adolescente son premier baiser représentait une humiliation assez grande pour la faire réagir, celle-ci resta les bras ballants, le long du corps, et ne montrait aucun signe d’une quelconque résistance. Sans doute la raison de cette paralysie soudaine était-elle due à la vitesse à laquelle s’était déroulé cet événement inattendu.
Mais, voulant à tout prix obtenir une réaction autre que la passivité de sa victime, Severus intensifia son baiser en forçant le passage des lèvres de la jeune fille avec sa langue. Cependant, une fois encore, au grand étonnement du professeur, il ne rencontra aucune résistance de la part d’Hermione. Le gémissement orgasmique aigu de l’apprentie sorcière qui accompagna cette intrusion révéla même à Rogue que l’esprit confus de l’adolescente ne semblait nullement gêné par quelque forme de désapprobation que ce soit face à ce baiser. Elle s’était simplement et totalement laissée envahir, sans même chercher à résister. Prenait-elle sincèrement du plaisir dans cet échange charnel ? Rogue avait vraiment du mal à comprendre ce phénomène pour le moins curieux mais, au moment même où il se posa cette question, l’odeur mielleuse du visage juvénile d’Hermione s’insinua dans les narines de son nez crochu et lui rappela instantanément le parfum paradisiaque des champs de sa jeunesse, où il aimait vadrouiller jadis au côté de sa Lily. Commençait-il, lui aussi, à apprécier ce contact de cette bouche enfantine et défendue ?
En proie aux doutes les plus affreux, Rogue mit donc fin assez rapidement à ce baiser qui l’avait uni à Granger de façon très éphémère et il repartit rapidement reprendre place sur son estrade d’enseignant. De nouveau, il fit face à l’ensemble des élèves qui tous, sans exception désormais, le regardaient, interdits, ne sachant comment se comporter face à ce qui venait de se produire. S’ils avaient été des collégiens moldus, ils auraient sans aucun doute dégainé leur téléphone portable pour graver ce moment en photo à jamais. Mais les apprentis sorciers demeurèrent juste sous le choc, tandis qu’Hermione savourait de nouveau l’air frais de la salle de classe. Reprenant péniblement son souffle, prenant appui sur sa table de travail, elle tentait maintenant de masquer à ses camarades de classe un sourire satisfait, mais son visage, rougi et embelli par l’émotion, ne pouvait que la trahir.
De son côté, Rogue ne réalisa que bien trop tard la portée de son acte, quand il s’aperçut avec horreur que ses élèves n’avaient plus du tout peur de soutenir son regard. Dorénavant, tous les étudiants présents aujourd’hui avaient de quoi ternir sa réputation d’homme sévère pour de longues décennies… Se rendant alors compte de son erreur, qui pouvait également et facilement lui coûter sa place d’enseignant, il dégaina sa baguette magique avec une impressionnante rapidité et, pointant un à un chaque élève de sa classe, il se prépara à lancer un sortilège d’oubliette global. Néanmoins, à peine l’incantation fut-elle prononcée que Rogue crut apercevoir du coin de l’œil la jeune fille, essayant de stopper le sortilège de son professeur en se protégeant derrière un bouquin de potionlogie. Sans doute souhaitait-elle conserver ce baiser dans ses souvenirs ? Mais le sort partit à une telle vitesse qu’elle fut aussi touchée et oublia instantanément ce qui venait de se passer entre eux, tout comme le reste de ses camarades d’ailleurs, qui reprirent leur travail comme si de rien n’était.
Jusqu’à la fin de son cours, qui passa d’ailleurs très vite aux yeux des élèves, Rogue tenta de masquer un rictus victorieux. Quand le hiboux de la classe hulula l’heure de la récréation, tous les élèves, sans exception, furent extrêmement surpris de la rapidité avec laquelle avait passé ce cours. Mais ce qui les étonna encore davantage fut l’attitude pour le moins très inhabituelle du professeur.
En effet, pour la toute première fois après une étude sur les potions, les élèves ne dirent pas un seul mot sur le regard qui effrayait tellement l’école entière, mais ils discutèrent plutôt de ce très étrange petit sourire que Rogue avait essayé tant bien que mal de leur cacher. Quant à Hermione, qui avait un bien mystérieux mais très agréable goût, à la fois sucré et acidulé sur ses lèvres, étonnamment gonflées, elle se réjouit que pour une fois, Rogue n’eût humilié personne parmi les gryffondors. Toute heureuse de découvrir enfin une nouvelle facette de l’homme qu’elle aimait en secret, elle alla, dès sa sortie du cours de potion, consigner cet événement dans son journal intime, et marqua d’une écriture fine et en rouge que c’était aujourd’hui que lui était apparue cette rare version de son Severus, qu’elle trouvait au fond d’elle-même bien tristement éphémère.