À Poudlard, l’article 394 du règlement scolaire était parfaitement explicite. En effet, celui-ci stipulait clairement que chaque professeur se devait de maintenir une parfaite impartialité dans l’attribution des points aux élèves. Le corps enseignant ne devait en aucun cas faire preuve de favoritisme envers l’une ou l’autre des quatre maisons de l’école. Et bien évidemment, la grande majorité des éducateurs se conformaient avec beaucoup de respect à cette règle édictée depuis la fondation même du château de sorcellerie. Néanmoins, il arrivait parfois que certains professeurs ne se gênent pas pour proclamer haut et fort leur préférence pour l’une ou l’autre des maisons. Par exemple, et c’était souvent le cas pour Severus Rogue, tout le monde savait que le maître des potions avait une nette préférence pour les élèves de Serpentard, car les marques d’affection qu’il donnait aux héritiers du fondateur Salazar étaient évidentes et non dissimulées. Parmi les professeurs qui transigeaient aussi beaucoup avec cet article 394, on pouvait citer Pomona Chourave, qui elle, se mettait plutôt à chouchouter à l’extrême ses petits Poufsouffles, délaissant ainsi souvent les autres élèves des maisons rivales.
Quoi qu’il en soit, dans cette course aux points à laquelle se livraient professeurs et élèves, il survenait toujours un petit contretemps, chaque année, qui venait contrarier les plans et les stratégies de chacun pour tenter de remporter la Coupe des Quatre Maisons. En effet, chaque année, les cours des Forces du Mal étaient dirigés par un nouveau professeur. Aussi les élèves des différentes maisons tentaient-ils alors de séduire et de soudoyer ce tout nouvel arrivant dans les rangs des professeurs, pour obtenir de lui quelques points supplémentaires par-ci par-là. À l’époque où le professeur Quirrell occupait encore ce poste, les Poufsouffles parvinrent à conserver une très bonne position dans le classement, et furent même à deux doigts de remporter la Coupe des Quatre Maisons. Malheureusement, les Serpentards les avaient devancés en sortant victorieux de quasiment tous les matchs du tournoi de Quidditch de l’année scolaire. Lors de l’année suivante, dès la prise de fonction du célèbre Gilderoy Lockhart, ce fut la maison Serdaigle qui se retrouva grandement privilégiée et qui reçut des points par paquets de dix. Les déballages de connaissances des écoliers de Serdaigle sur la vie du magicien conquirent rapidement le cœur de cette célébrité, imbue d’elle-même. Heureusement qu’il perdit la mémoire en fin d’année, car il aurait été grandement déçu d’apprendre que Gryffondor avait remporté la compétition annuelle, supplantant ainsi la maison de Rowena, à laquelle il avait été affilié durant ses jeunes années à Poudlard.
Mais en cette année scolaire 1993-1994, ce fut au tour de Gryffondor de se sentir épaulée par le nouveau professeur de l’école. Effectivement, le dénommé Remus Lupin porta très tôt son attention sur les élèves de Gryffondor, sans doute parce que lui aussi, durant sa jeunesse, avait appartenu à cette prestigieuse maison. Aussi, quand la fin d’année approcha à grands pas, ce fut pour Lupin une immense déception de constater que le sablier de Gryffondor était aussi loin derrière ceux de tous les autres. Serpentard occupait la tête du classement depuis plusieurs mois déjà, et la maison devançait maintenant les trois autres de beaucoup. Même Poufsouffle, qui pourtant arrivait en seconde position, avait un écart important avec Serpentard. Puis venait ensuite péniblement Serdaigle et Gryffondor, qui étaient tous deux à la traîne. Cette année, il allait falloir un véritable tour de magie pour parvenir à faire en sorte que Gryffondor gagne la Coupe des Quatre Maisons. Tous les pronostics donnaient Serpentard gagnant, et il était plus qu’évident que cette année, la Coupe allait être remportée haut la main par les élèves du professeur Rogue. Néanmoins, Lupin souhaitait à tout prix éviter que Gryffondor ne soit en dernière place du classement. Car être dernier n’était jamais une très bonne chose pour les registres scolaires, et il voulait préserver au mieux le prestige de la maison de Godric auprès des générations futures.
Tous ceci conduisit donc le professeur des Forces du Mal à préparer un examen de dernière minute, exclusivement réservé aux étudiants de Gryffondor, dans le but de sauver l’honneur de la maison. Avec ce cours surprise, il espérait obtenir au moins un ex-æquo avec Serdaigle. Cependant, les contrôles de dernière minute étaient généralement très peu appréciés des étudiants, et cela pouvait très facilement se comprendre, car qui aime les contrôles surprise ? Même Hermione Granger, qui d’habitude, était pourtant la première à apprécier ces devoirs inopinés, ne trouva pas cela de très bon goût. En effet, la jeune fille, contrairement aux autres collégiens, ne détestait absolument pas le fait de ne pas être prévenue d’un exercice-minute. Bien au contraire, cela avait le mérite de lui donner l’opportunité de tester ses facultés magiques et de cibler ainsi rapidement ses manques de connaissances. Elle pouvait ainsi remédier à ses lacunes le plus vite possible, grâce aux nombreux livres qu’offrait la bibliothèque. Mais ce qui vint la déranger ce jour-là fut plutôt la nature de l’examen en lui-même. Car le professeur Lupin avait eu l’idée de faire passer un à un l’ensemble des élèves de Gryffondor devant le fameux et craint Épouvantard. Et Hermione était comme la plupart de ses camarades, effrayée à l’idée de dévoiler sa peur la plus profonde aux yeux de tous. D’ailleurs, elle ignorait de quoi elle avait le plus peur, et elle craignait davantage de savoir ce que ça pouvait être que de la voir apparaître devant elle. La jeune sorcière avait lu tellement de choses horribles sur cette armoire magique qu’elle craignait plus que tout de se retrouver face à face avec ce meuble maudit.
Aussi, quand arriva le moment où le professeur Lupin retira la couverture pour dévoiler l’armoire magique qui contenait l’Épouvantard, Hermione sentit son sang se glacer en même temps qu’un frisson glacé parcourait son corps frêle d’adolescente de la tête aux pieds. La simple vue de cette armoire lui donna le tournis et une nausée s’empara d’elle. Alors, Hermione se mit à marcher à reculons, le plus discrètement possible, afin de se cacher derrière ses camarades de classe. Elle comptait bien rester le plus longtemps possible derrière tout le monde, le temps pour elle qu’elle se fasse au moins à l’idée d’affronter son Épouvantard. Néanmoins, sa manœuvre ne passa pas inaperçue et ses camarades refusèrent de la laisser se dérober ainsi, formant alors une barrière de leurs corps, qui l’empêcha d’échapper aux yeux bleus perçants de Lupin. La cohue des étudiants attira l’attention de la part du professeur qui ne tarda d’ailleurs pas à désigner immédiatement miss Granger pour être la première à passer l’épreuve, ceci afin d’apaiser le groupe rapidement. À cet instant précis, Hermione aurait donné n’importe quoi pour avoir son Retourneur de Temps avec elle et pouvoir échapper à ce moment. Mais comme une idiote, elle l’avait déjà rendu au professeur McGonagall. Elle se serait donnée des gifles ! Alors que les élèves moldus étaient terrorisés à l’idée de réciter une simple poésie, les étudiants sorciers eux, devaient vivre des choses bien pires que ça. Hermione aurait aimé à cet instant ne jamais avoir découvert qu’elle était une sorcière, pour pouvoir échanger sa place avec une moldue et réciter un petit poème au lieu d’affronter ce qui allait suivre.
Quand le professeur Lupin appela une seconde fois Hermione à se présenter devant l’Épouvantard, tous ses soi-disant amis, désormais soulagés de ne pas avoir été choisis en premier, la poussèrent en avant. Ils espéraient secrètement qu’elle puisse, en tant que meilleure élève de Gryffondor, rapporter le plus de points possible à leur maison. La jeune fille se souvint alors soudainement des premiers mots de Dumbledore, lors de sa première rentrée des classes : Gryffondor allait être comme une seconde famille pour elle. Après trois ans passés à Poudlard, elle venait à l’instant de se rendre compte que toutes ses belles paroles n’avaient été qu’un vulgaire baratin pour amadouer et mettre en confiance les nouveaux résidents du château magique.
Malgré sa réticence, la jeune sorcière dut néanmoins obéir à son professeur et, se plaçant devant l’Épouvantard en tremblant et en soupirant pour essayer de masquer sa peur, elle attendit que sa plus grande frayeur se dévoile sans pudeur. Dans la salle de classe, une ambiance silencieuse et inquiète s’était installée, et tous les élèves attendaient maintenant en silence la manifestation de la plus grande peur de la jeune fille. À l’approche d’Hermione, l’armoire s’était mise à trembler, à bouger frénétiquement dans tous les sens, comme s’il y avait quelqu’un de ligoté à l’intérieur, qui essayait par tous les moyens de sortir de ce cercueil. Puis, après ces quelques secondes d’agitation, l’armoire redevint complètement inanimée, comme si elle venait d’être soudainement touchée par un sortilège d’immobilité. Ensuite, il ne fallut pas attendre très longtemps avant d’entendre le bois du meuble grincer et la clinche métallique tinter, annonçant l’ouverture imminente de la porte et l’inévitable sortie de l’incarnation de la peur d’Hermione.
Et quand enfin, la porte en bois s’ouvrit dans un couinement effroyable, l’Épouvantard d’Hermione sortit pour se montrer aux yeux de tous les élèves. Neville Londubat ne put alors se retenir de pousser un cri de frayeur. Venant rapidement se cacher derrière Harry Potter, tout prêt à se servir de l’Élu comme d’un bouclier, il s’accrocha à ses épaules et ferma les yeux. À la surprise générale, la plus grande peur d’Hermione se révéla être exactement la même que celle du pauvre Neville, qui était à ce moment-là au bord de l’évanouissement. Quelques voix commencèrent à s’élever discrètement dans l’assemblée des élèves, car c’était assez surprenant de constater que le professeur Rogue pouvait être la plus grande peur d’Hermione ! D’ailleurs, avant cet épisode, personne n’aurait put imaginer que Granger et Londubat pussent même avoir quelque chose en commun… Même Harry et Ron se regardèrent interloqués, ne comprenant pas pourquoi leur amie commune avait si peur de Rogue. Certes, il était de notoriété publique que le maître des potions faisait peur à pas mal de monde parmi les écoliers, mais les deux amis avaient toujours cru que leur Hermione n’avait pas ce souci.
Le cœur d’Hermione s’était maintenant mis à battre à la même vitesse qu’un Hippogriffe au galop quand, les bras croisés sur sa poitrine, son Épouvantard s’était mis à la toiser avec mépris et dégoût. Son corps tout entier tremblait comme si elle subissait le baiser d’un Détraqueur, et après quelques petites secondes de silence insoutenable de la part du Rogue de l’armoire, celui-ci se mit enfin à parler avec le même timbre de voix que le maître des potions :
« Granger !!! Comment osez-vous imaginer un seul instant que je puisse être votre amant ? Que je puisse même avoir des sentiments amoureux pour vous ? Mais pour qui me prenez-vous réellement ? Sale miss je-sais-tout, je ne pourrai jamais aimer une sang-de-bourbe telle que vous ! Croyez-vous sincèrement que je puisse ressentir une quelconque attirance physique pour vous ? Plutôt mourir sous une horde de Détraqueurs affamés que d’épouser une née moldue, sachez-le ! La simple idée même de vous embrasser me répugne à un point que je préférerais sentir les lèvres d’un troll mort… »
Et malgré le fait que son Épouvantard continuait à l’injurier et à lui dire des choses immondes à son sujet, la jeune sorcière ne trouva pas la force pour autant de pointer sa baguette vers Rogue, même si cette version de l’homme qu’elle aimait en secret la faisait horriblement souffrir. Et tandis que l’Épouvantard continuait à la couvrir d’insultes, des murmures moqueurs s’élevèrent dans le dos d’Hermione pour ricaner d’elle et de sa peur, jusque-là inavouée. Sans gêne, les élèves de Gryffondor s’étaient maintenant mis à rire de bon cœur face à cette situation, et Hermione, prise en sandwich entre les insultes de Rogue et les moqueries de ses camarades, ne put supporter bien longtemps cette torture ; elle s’enfuit de la salle de classe en dissimulant son visage noyé de larmes dans ses mains.
Presque une heure après cet événement, Hermione déambulait toujours sans destination précise dans l’enceinte du château. Elle errait de couloir en couloir, sans réel but, essayant seulement de s’éloigner le plus possible de la salle de classe des Forces du Mal. Puis, quand elle entendit le tintement de la cloche de Poudlard annonçant la fin des cours, elle comprit que les couloirs allaient bientôt être envahis par les élèves de Gryffondor, qui partiraient dès lors à sa recherche. Alors, Hermione décida de trouver rapidement refuge quelque part, dans un endroit où personne ne pourrait la retrouver. Dans sa fuite, elle poussa au hasard une grande porte et s’enferma à double tour à l’intérieur, bloquant l’entrée avec le sortilège inverse d’Alohomora.
Hermione avait tellement besoin de réconfort à ce moment-là que ce fut donc en toute logique que la seule pièce qui venait de lui ouvrir ses portes en grand fut celles de la Salle sur Demande. D’ailleurs, elle se rendit compte qu’il s’agissait de cette pièce quand elle remarqua qu’au milieu de la grande salle vide se trouvait le Miroir du Risèd. Les joues mouillées par ses larmes, Hermione s’avança alors jusqu’au centre de la pièce et se plaça devant le miroir magique, avec l’espoir que la vue de ce qu’elle désirait le plus au monde puisse apaiser son chagrin. À peine eut-elle le temps d’essuyer ses larmes sur ses joues rougies par l’émotion que le reflet du miroir renvoya l’image du professeur Severus Rogue, qui la regardait en souriant. Mais cette fois-ci, ce n’était pas un sourire moqueur qu’elle vit apparaître en face d’elle, mais bel et bien un sourire aimant, plein de compassion et de tendresse. Ce Rogue au sourire affectueux fut très vite rejoint par une Hermione adulte. Dans le miroir, des images d’une vie de couple défilèrent et montrèrent à la jeune Hermione, encore écolière, l’avenir dont elle rêvait. Les larmes de l’adolescente cessèrent de couler devant les tendres images d’amour que lui offrait son désir le plus profond.
En l’espace d’à peine une heure, Hermione venait de rencontrer deux versions de Rogue diamétralement opposées, et c’est sans la moindre difficulté qu’elle parvint à oublier l’horrible Rogue de la salle des Forces du Mal pour lui préférer cette version idéalisée du Miroir du Risèd. Comme une gamine scotchée devant un téléviseur, Hermione se laissa apaiser dans la contemplation des visions du miroir. Cela lui permit en outre de réfléchir plus sereinement à sa situation actuelle, afin de trouver rapidement un moyen de réparer sa honte. Seule dans la Salle sur Demande, elle parvint à échafauder son plan. Ce soir, elle irait demander la Cape d’Invisibilité de Harry, et dans le même élan, elle irait se glisser dans le bureau du professeur McGonagall afin de récupérer son Retourneur de Temps. Avec cet accessoire, elle préviendrait son Elle du passé pour qu’elle trouve un moyen de se porter absente pour le cours surprise de Lupin. Ainsi, son amour pour Rogue resterait secret, et peut-être parviendrait-elle un jour à ne plus avoir peur de ce Rogue de l’Épouvantard, pour davantage faire confiance en l’avenir que lui promettait le Miroir du Risèd.