[ Fanfic-Audio ] BREAKING BAD : L’Exilé D’Albuquerque (voix off féminine)


Lorsque Walter constata avec soulagement que la pluie lourde de neige avait enfin cessé de déferler des cieux, il courut ouvrir la porte de son chalet avec la même joie que celle d’un enfant déchirant l’emballage de son cadeau de Noël. Mais une fois la porte grande ouverte, un vent glacial qu’il n’avait pas prévu vint le cingler par surprise, coupant net son enthousiasme et sa respiration. Cette claque de la nature déforma son visage de cinquantenaire, faisant apparaître de toutes nouvelles rides en se crispant sous l’impact violent et soudain du froid.

Quand il fut enfin remis de cette cuisante correction, Walter remarqua avec dégoût et découragement qu’une vaste étendue de neige s’étalait devant lui. Mais après plus de cinq heures passées cloîtré chez lui, à attendre que cette maudite tempête hivernale se calme, rien n’aurait pu l’empêcher de sortir afin de faire sa balade quotidienne. Néanmoins, et bien que l’on soit à peine au milieu de l’après-midi, le soleil descendait déjà se cacher derrière les grands arbres. Walter savait pertinemment que dans deux heures au plus tard, la nuit engloutirait tout le paysage alentour.

Il ne lui restait donc d’autre choix que de renoncer à quelques étapes de son habituel parcours, afin d’éviter que le chemin du retour ne se fasse sous la voûte nocturne. À contre-cœur, et après quelques secondes de réflexion dans l’embrasure de la porte, il décida de se diriger directement vers le point final de son circuit au lieu de suivre la rivière gelée qui menait à la petite colline surplombant la forêt. Et pour ce faire, il savait qu’il n’avait qu’à couper à travers les bois.

Après s’être chaudement vêtu et avoir fermé sa planque à double-tour, Walter s’engouffra donc rapidement sous les frondaisons, et bien qu’il fût très difficile d’avancer avec cette épaisse neige qui s’accrochait à ses bottes, il parvint néanmoins à maintenir l’allure d’un animal traqué. Seule une vilaine toux venait de temps en temps ralentir sa marche. Il s’arrêtait alors un instant pour reprendre son souffle, sortait ses mains gantées enfouies dans les grandes poches de son blouson hivernal et, prenant appui contre le tronc d’un arbre, attendait que les échos de sa bronchite s’envolent dans le silence ambiant et disparaissent avant de reprendre sa route.

Walter dut marcher encore une bonne quarantaine de minutes avant d’arriver enfin à destination. Mais malheureusement, à peine venait-il de franchir les derniers mètres que la neige du ciel terne et bas recommençait déjà à tomber. Quelques flocons étaient d’ailleurs déjà venus pigmenter sa vieille barbe brune et le bonnet de laine qu’il portait, qui lui compressait le crâne à la manière d’un casque de bicyclette.

Craignant à juste titre que la tempête ne refasse parler d’elle, Walter se jura de ne pas s’attarder trop longtemps ici. Rapidement, il s’approcha du squelette métallique d’une petite automobile qui reposait là, abandonnée dans la forêt. Il s’agissait d’une vieille épave, datant très certainement de l’époque de la prohibition, d’après les formes arrondies et caractéristiques de sa carlingue. Le grignotage que la rouille avait opéré sur la vieille berline donnait à sa peinture originelle rouge sang une douce couleur cramoisie, qui rappelait à Walter l’ancien véhicule de son acolyte Jesse.

En arrivant à sa hauteur, Walter posa une main presque paternelle sur la voiture. La solitude qui accompagnait son exil était pire encore que la maladie qui lui rongeait les poumons. En effet, elle lui faisait lamentablement prendre conscience à la fois de la rudesse de son règne d’ancien baron de la drogue, mais aussi et surtout de l’odieux châtiment qu’il avait été obligé d’infliger à Jesse. Torturé sans doute pendant plusieurs jours par Jack et ses hommes, Jesse était certainement mort depuis longtemps. Néanmoins, son souvenir ne cessait de venir le hanter dans sa retraite forcée, et la présence de cette voiture si similaire à celle que possédait jadis Pinkman ne l’aidait guère à se débarrasser de son sentiment de culpabilité.

L’esprit de Walter se perdait ainsi facilement lorsqu’il demeurait ainsi, debout près de cette automobile. Régulièrement, il imaginait des fins alternatives à son parcours de criminel, et toutes avaient en commun une conclusion bien plus favorable à l’égard de Jesse que celle que lui avait offerte la triste réalité. Mais aujourd’hui, la météo ne lui laissait guère le temps de se perdre dans de futiles rêveries.

Inquiet de voir la tempête de neige reprendre du service, Walter se hâta donc de sortir son paquet de cigarettes de sa poche. Encore sous blister, il s’agissait là de la même marque de tabac que son défunt associé avait la fâcheuse habitude de fumer. Une fois le paquet ouvert et la clope allumée, une fumée bleuâtre s’en échappa pour venir s’enrouler autour de ses doigts rougis par le froid, et à cause de la rapide montée du vent, ce bâton de drogue se consuma extrêmement vite.

Puis, l’espace de quelques secondes seulement, Walter s’autorisa à observer au-dessus de lui l’immense ciel, aussi blanc que le tapis de neige sous ses pieds. Mais le vent, forçant et soufflant inexorablement, annonçant par la même occasion l’arrivée imminente d’une nouvelle dépression neigeuse, il sut qu’il ne pouvait s’attarder davantage.

Aussi, après avoir délicatement posé la cigarette encore incandescente sur le tableau de bord du véhicule abandonné, Walter se prépara à prendre le chemin du retour, en espérant que le lendemain serait plus calme, lui permettant ainsi de se laisser aller à sa rêverie quotidienne.

Pour mettre le point final à sa petite promenade, Walter laissa échapper un murmure en portant un dernier regard en direction de la voiture. D’une faible voix légèrement modifiée, sans doute par son cancer, il réussit à chuchoter : « À demain Jesse… ».


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